Conférence écrite par mes soins dans le cadre du Colloque 2008 sur les Moeurs Canines en Avignon
Pourquoi MAUVAIS comportement ? y a-t-il une échelle de valeur,une connotation de bien ou de mal dans le comportement ? La réflexion peut-être, alors, différente et la question peut devenir « le comportement est-il adapté ? »
Si nous partons du postulat que tout comportement est adapté à un environnement, et a une intention positive pour le sujet, la question à se poser serait dans un premier temps « quel est cet environnement et de quoi est-il fait ?
Le comportement correspond à la conduite extériorisée d’un individu, ces actes, son mode de fonctionnement vu par la lunette d’un observateur extérieur.
Le Professeur Henri Laborit (1914-1995) démontre dans ses expériences sur les rats et son observation des comportements humains qu’il existe quatre grands types de comportement :
*Le comportement de consommation
*le comportement d’agression, réponse adaptée à des situations de danger, réelles ou pas
*Le comportement de fuite qui a l’avantage de ne pas ajouter d’agressivité à l’agression (« L’éloge de la fuite »)
*Le comportement d’inhibition, l’individu alors prend sur lui l’agression externe, quelque qu’elle soit et la retourne contre lui, l’individu tombe malade, déprime, anxiété, angoisse, somatisation etc.…
Dès la première page de son livre « Inhibition de l'action », le Professeur Henri Laborit écrit : « Quand l'action [pour résoudre un conflit] est impossible, l'inhibition de l'action permet encore la survie puisqu'elle évite parfois la destruction, le nivellement entropique avec l'environnement. C'est en ce sens que la « maladie » [les guillemets sont de Laborit] sous toutes ses formes peut être considérée comme un moindre mal, comme un sursis donné à l'organisme avant de disparaître.» (...) « Le manichéisme qui caractérise la majorité des conduites humaines ne permet d'envisager jusqu'ici que deux conduites à l'égard de la maladie : l'une consiste à agir sur l'organisme malade en ignorant son environnement, l'autre à agir sur l'environnement en croyant que cela suffira à résoudre tous les problèmes organiques. Il serait sans doute préférable dans certains cas, pour traiter un ulcère d'estomac, d'éloigner la belle-mère par exemple plutôt que de pratiquer une gastrectomie qui ne changera rien au facteur environnemental." (...) "Nous sommes les autres, c'est-à-dire que nous sommes devenus avec le temps ce que les autres - nos parents, les membres de notre famille, nos éducateurs - ont fait de nous, consciemment ou non. Nous sommes donc toujours influencés, le plus souvent à notre insu, par les divers systèmes dont nous faisons partie."
L’environnement de l’animal de compagnie (chiens, chats) :
La France a les plus gros effectifs européens de chiens et de chats. Selon l’enquête TNS-Sofrès de 2006, elle compte 8 millions de chiens et 10 millions de chats, avec 43 % des foyers français ayant au moins un chien ou un chat.
L’environnement de l’animal de compagnie: c’est l’être humain faisant partie d’un pays la France qui est en tête des pays au monde pour la consommation de psychotropes. On appelle psychotropetoute substance modifiant le psychisme. Les psychotropes sontclassés en trois principaux groupes : les calmants (somnifères, anxiolytiques), les stimulants (amphétamines, antidépresseurs) et les perturbateurs (chanvre, alcool, stupéfiants).
D’après le rapport Zarifian (1996), les français consommaient, selon les catégories de produits, de 2 à 4 fois plus de psychotropes que les autres européens. Selon l’OPEPS (office parlementaire d’évaluation des politiques de santé juin 2006), le pourcentage de la population ayant consommé des psychotropes au cours des 12 derniers mois, est le double de la moyenne des pays limitrophes à la France.
Toujours dans le rapport Zarifian, la consommation de psychotropes est qualifiée cyniquement de "prix du bien-être". Elle est expliquée par les mêmes facteurs d’offre que pour les autres médicaments, et renforcés par "la mode de la médicalisation du moindre vague à l’âme". Du point de vue de la souffrance humaine, elle semble être plutôt le coût du mal-être.
L’environnement de l’animal de compagnie: c’est l’être humain faisant partie d’un pays la France qui a le 3eme taux de suicide dans l’Union Europenne d’après Eurostat et l’OMS, derrière la Finlande et l’Autriche. En 2002, la France était le premier grand pays européen pour son taux de suicide, ex aequo avec l’Autriche. Le nombre officiel de suicides est d’un peu moins de 11 000 par an, soit 18 pour 100 000 habitants. Ce nombre est considéré comme sous-estimé de 20 %. Il y a en plus entre 150 000 et 200 000 tentatives de suicide par an.
L’environnement de l’animal de compagnie : c’est aussi par exemple:
Dans les hôtels Loews Hotel Vogue , un étage réservé aux « 4 pattes » : On les traite comme des VIP. Dès la réception, ils reçoivent un petit sac de gâteries. Dans la chambre, pour plus d'hygiène, il n'y a pas de tapis. Déjà, lors de la réservation, on s'est informé de leurs habitudes alimentaires et leurs plats sont remplis selon leur régime. Les menus élaborés et approuvés par un vétérinaire proposent même une nutrition appropriée afin de les aider à faire face au stress du voyage.
À l'heure de la marche, si on le désire, un promeneur de chiens s'occupe des sorties pour ne pas perturber les horaires de l'animal si vous passez la soirée au théâtre ou au restaurant.
De plus, l'armoire " Coup de pouce " contient de nombreux accessoires, notamment tapis pour chats et chiens, laisses, colliers, jouets et vidéos, litière et même des pelles ramasse crotte.
A New york, certains propriétaires de chiens installent leurs tapis mousse dans les jardins publics, ils tentent de synchroniser leur respiration à celle de leurs chiens, ils pratiquent le « doga », cours de yoga canin, puis quelques étirements sur les pattes pour faire un peu de stretching…
Sur la 44e rue, le Biscuits and bath doggie village a une piscine pour ses adhérents. Jazz le vendredi soir, et brunch le dimanche matin pour chiens et bipèdes. On peut aussi célébrer des mariages canins, avec gâteau de cérémonie tout en pâté et croquettes.
A Montréal, une suite présidentielle dans un hôtel de luxe pour l’anniversaire du compagnon canin pour 80 dollars….des spa très chics, des séances de massothérapie.
Dans « recettes gourmandes pour chiens gourmets » de Donna T.Roberts, 50 recettes maison vous sont proposées pour le bonheur et la santé de votre chien…dans ce même livre à la page 50-51 l’auteure écrit en s’adressant directement aux chiens :"Choisis ta chaise ou ton sofa favori sur lequel dormir. Même si ton maître te dit de descendre, remontre dessus immédiatement.Bientôt, il recouvrira la chaise ou le sofa d'une vieille couverture: à ce moment-là, la place t'appartiendra. Si tu es adopté par des gens qui doivent partir tous les jours pour aller travailler, voici ce que je te suggère: tu peux aller te placer dans la fenêtre et japper aussi fort que possible, jusqu'à ce que la voiture soit hors de vue. Après, tu pourras retourner à ta sieste. De cette façon, ils s'inquièteront toute la journée et ils viendront peut-être manger à la maison le midi."Si tu t'amuses dehors et que quelqu'un te dit de rentrer, fais le sourd, à moins bien sûr, que ce soit l'heure de manger."
No coment…..
Aux états Unis, le docteur vétérinaire Amy Varder propose ses services aux avocats pour réaliser des évaluations comportementales des animaux de couples en instances de divorce, en observant l’animal avec ses « propriétaires », elle donne un avis consultatif sur l’intensité du lien qu’entretient le chien avec chacun des protagonistes, elle rends ses conclusions après un heure de consultation !!!!
L’environnement de l’animal de compagnie : c’est en finalité pour certains ou pour beaucoup : le mal être de l’être humain.
Le professeur Montagner parle « d’animal substitut », « d’animal béquille », « d’animal médiateur » réceptacle privilégié de nos émotions, de nos affects, de nos projections.
La psychologue Aymon Gerbier, spécialisée dans la psychothérapie assistée par l’animal dit l’animal est ‘’une éponge affective‘’.
La psychologue Ozanne parle également de « chien éponge » chargé de combler un manque, de « chien révélateur » miroir du maître, de ses angoisses et de ses névroses, de miroir narcissique.
Borys Cyrulnick parle d’une matérialisation de la pensée humaine transmise au chien qui façonnerait ce dernier.
Jacques Lacan, psychanalyste écrit « Les animaux domestiques, « d’hommestiques », sont un peu de nous-mêmes et les rapports que nous entretenons avec eux font partie de cet indicible qui parle de notre inconscient », il écrit aussi« le chien est l’inconscient de son maître ».
Troubles du comportement et si ce n’était, pour la plupart que symptômes ?
*Ce symptôme, formation de compromis en tant qu’il est le produit du conflit défensif
*Ce symptôme, formation réactionnelle dans la mesure ou c’est le processus défensif qui prévaut
*Ce symptôme que nous pouvons rattacher au langage, ou au discours
*Ce symptôme, proposition de communication
Et si le symptôme n’était que métaphore, que l’on veuille ou non se le dire ? (Lacan)
Et si nous changions de regard ? Et si nous nous posions d’autres questions ?
Pourquoi avons-nous tant besoin de ces animaux ? De quels rôles sont-ils investis ?
Pourquoi cette solitude, cette insuffisance de liens affectifs, cette fragmentation du lien du social, cette détresse psychologique, ce burn-out professionnel ou familial ?
Pourquoi mettre nos anciens dans des maisons dites « de retraite » en leur demandant d’abandonner leur propre animal de compagnie pour ensuite leur apporter pendant quelques instants « un chien soit disant thérapeutique » pour toute consolation ? Que ressentent vraiment ces gens là ?....est ce que nous nous sommes posés la question ??? Hypocrisie consternante…
Pourquoi cette peur de l’autre qui nous pousse à avoir des chiens comme protection « je suis absent toute la semaine, j’ai besoin d’un chien qui puisse protéger ma femme et mes enfants…et si cette femme pouvait se protéger toute seule ????
Pourquoi cette difficulté à vivre avec l’autre, l’humain, sans agressivité, sans violence verbale, sans ressenti, dans l’impossibilité de lui dire « je t’aime », alors que plus de la moitié des propriétaires d’animaux domestiques leur font cette « déclaration » régulièrement ???
Pourquoi ce manque d’estime de soi, ce besoin de reconnaissance, ce soi-disant besoin de domination…. « Pourtant mon chien obéit parfaitement : assis, debout, couché, marche en laisse, et il vient de mordre mon mari, ma femme, le voisin ou l’enfant.. »
Moi mon chien, les parents sont champions sur plusieurs génération, c’est un chien de race hyper sélectionné cependant je comprends pas, il se bouffe les pattes sans arrêt… je ne peux plus le présenter en expo…. »
Pourquoi cette culpabilité, ce besoin de certitude pour nous conforter dans le soi-disant amour que nous leur portons… « je fais tout pour elle ou pour lui, toilettage,brosse à dents, panière confortable, jouets, petit manteau pour le froid, alimentation au top, anniversaire et voila comment elle (il) me remercie…..(destruction, malpropreté etc..)
Il y a-t-il vraiment une réponse à toutes ces questions ?
Et si la bonne question était en finalité « comment allez moins mal pour que l’autre, indépendamment de soi et en l’occurrence l’animal, puisse aller mieux ? »
J’entends déjà ce que certains vont me dire « nous ne sommes pas des psychanalystes » c’est vrai cependant, il ne s’agit pas d’aller remuer le passé des propriétaires d’animaux pour faire « parler » l’inconscient, leur dimension « historique, voir infantile » ne nous intéresse pas, le passé n’est pas la solution du présent, en tout cas pas dans ce contexte là, il s’agit par contre de devenir des professionnels de la relation d’aide, des professionnels des relations humaines car qui dans le binôme Homme chien ou chat souffre le plus.. ? je crains que nous nous trompions de cible en pensant que cela puisse être l’animal ….car la guérison de cet animal passe pour la plupart du temps par une restructuration du propriétaire.
Dans cette perspective, l’examen clinique de l’animal et la connaissance du « profil psychologique » des propriétaires entretiennent des rapports de complémentarité nécessaires et indispensables.
Cette démarche est à l’opposé d’une nosographie comportementale dont le seul objectif serait d’isoler un ou plusieurs symptômes pris indépendamment ou superposés de manière à ce qu’ils puissent correspondre à l’une ou l’autre des catégories des différents médicaments (antidépresseurs, psychotropes etc.) mis sur le marché. De plus le risque est également que ce type de nosographie "instrumentalisée" en fonction de l’effet de tel ou tel médicament utilisé, ne réduise les problèmes comportementaux des animaux domestiques à des grandes catégories de manifestation comme les classifications humaines du DSM (bible de la psychiatrie humaine) nous en donnent une illustration.
Il ne s’agit pas non plus de penser que seule une « thérapie comportementale » appliquée sur l’animal puisse être la panacée au titre que l’éleveur, le propriétaire ne se soit pas adapté aux besoins de son développement comportemental, voir éducatif. C’est vrai que cela est plus simple, plus commode de penser, au nom de quoi d’ailleurs ? que l’animal ne doit pas dormir dans la chambre, sur le lit, sur les canapés, qu’il est indispensable qu’il mange après l’être humain, qu’il doit savoir faire « assis, debout, couché », qu’une place doit lui être déterminée…Il y a ce qui est bien de faire, et ce qui est mal…..Porte d'entrée béante pour le « trouble de comportement »……
Travailler sur la souffrance d’un animal, et d’un être humain est une alchimie de compétences, il est nécessaire de savoir pour comprendre, comprendre l’autre, le binôme, découvrir son univers, leur univers, rentrer dans son monde, leur monde avec respect, apporter une écoute dénuée d’a priori, de jugements, et une aide appropriée.
Pour cela nos compétences de comportementalistes ou d'éducatrices (eurs) canin doivent être élargies, élargies à la connaissance certes de l’éthologie des espèces, mais aussi aux techniques de communication comme l’approche systémique, la programmation neuro linguistique, l’analyse transactionnelle, le coaching familial etc., élargies à la connaissance du profond de l’être humain, ses zones d’ombres qu’il ne veut pas voir, pas connaître, et qu’il projette pourtant sur l’autre (en l’occurrence l’animal) ses peurs, ses peurs existentielles qui le « mangent » de l’intérieur etc., car enfin, cette relation si privilégiée depuis des siècles, comment tout cela fonctionne vraiment ?
En finalité, ce qui est préjudiciable, ce n’est pas ce que nous ne savons pas mais ce que nous croyons savoir.
Nietzche disait « l’homme est l’animal malade », c’est à dire malade de lui-même.
Bibliographie :
Rapport du Docteur Edouard Zarifian (Mission générale concernant la prescription et l’utilisation des médicaments psychotropes en France-1996)
Conférence Professeur Coppinger
Professeur Henri Laborit « l’éloge de la fuite », « inhibition de l’action » (édition Robert Laffont)
Professeur Montagner « l’enfant et l’animal » (édition Odile Jacob)
Publications de l’Ecole de la cause Freudienne
Jacques Lacan « la relation d’objet » « les psychoses » édition le seuil
Alain Juranville « Lacan et la philosophie » édition Puff
Publications de Donald Woods Winnicott
Donna Twichell Roberts « Recettes gourmandes pour chiens gourmets » (le jour éditeur)
Entretien de K.L.Matignon avec Boris Cyrulnick pour « nouvelles clés »
Entretien Mme Ozanne pour « psychologie »
L’essentiel n°86